Amazone, ou l’allégorie d’une femme africaine

 

Le 24 avril dernier, Papa Wemba nous quittait et la peine ne s’atténue pas, que Dieu l’accueille. Une série d’hommages de différents pays, de nombreux artistes et politiques ce sont succédées dévoilant la dimension planétaire de la carrière de ce grand homme de la musique congolaise. Cependant un autre genre de « révélations » a peuplé la toile, des personnes ont fait des vidéos pour présenter les enfants du vieux Shungu, ceux qu’il a eu avec d’autres femmes que son épouse Amazone.
Papa Wemba a reconnu de son vivant avoir eu 33 enfants dont 6 avec Maria Rosa. Ce n’est pas une surprise que cet artiste ait multiplié les « enfants dehors » comme on dit chez nous. Comme beaucoup, il le pouvait, il l’a fait. D’ailleurs le nombre d’enfants de son confrère et compatriote Tabu Ley frôlerait les 100… J’ai parfois l’impression que le pouvoir de nombreux hommes africains artiste, politicien ou autre se mesure à leur collection de femmes et d’enfants qui s’en suivent.
Donc Amazone et Papa Wemba c’est 44 ans d’union, 6 enfants et un mariage religieux célébré en 2014.

 

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Mon article est motivé par deux choses. D’une part, une scène qui s’est déroulée lors de l’enterrement de son défunt mari, Amazone assise recevait les condoléances des personnes venues rendre un dernier hommage lorsqu’une femme dans la file se dirige vers elle. Étonnamment la veuve s’agite et pointe du doigt la femme qui bat en retraite et continue sa procession. Il semblerait qu’elle soit une maîtresse de son défunt mari.
L’autre élément déclencheur est un montage photo adorable d’Amazone et Papa Wemba dans leur jeunesse puis avec leurs enfants quelques années plus tard. Les commentaires associés à cette photo m’ont interpellé. Certaines personnes nées avant la honte utilisent ce montage pour présenter Amazone comme un parangon de vertu car elle est restée 44 ans avec son mari malgré tout ce que j’ai cité plus haut. J’ai pu lire des commentaires tels que « C’est une vrai femme qui a su tenir son foyer, elle savait que c’est dur mais elle a tenu », « les jeunes femmes d’aujourd’hui devraient prendre exemple sur elle, plutôt que de démissionner à la première difficulté » et autres joyeusetés.
Il ne s’agit pas ici d’encenser ou de réprouver Amazone, ce n’est pas ma place et elle seule peut faire un bilan de son expérience de vie. Mon but est de proposer une réflexion au message véhiculé par ces commentaires, quelle moralité en tirer et à qui cette mentalité cela profite au final.

Cette histoire me touche parce qu’Amazone en réalité est ma mère,  ma tante, ma cousine, bref elle est les femmes de mon entourage.
Des femmes qu’on éduque pour endurer, pour supporter. Je me souviens quand je me suis mariée, les conseils reçus recelaient systématiquement ces deux mots : endurer et supporter. A aucun moment, il n’a été question de mon bonheur, ni de mon épanouissement dans le mariage. Comment leur en vouloir ? Elles me donnaient ainsi les armes qui leur ont servi pour traverser le mariage parce que franchement leur expérience sonnait plus comme une bataille qu’autre chose. Ces femmes pouvaient-elles me parler de ce qu’elles n’expérimentent pas?

Entendons nous bien car je sens pointer l’indignation de certaines: un mariage c’est long, il y a des haut et des bas, patati et patata. Je ne parle pas du mari qui te donne financièrement ce que tu veux, qui s’occupe de ses enfants et tout, parce que je vous connais avec votre tendance à tout réduire aux finances. Je parle de votre relation personnelle avec le dit époux, de complicité, de respect et considération de vos sentiments respectifs. Je ne parle pas de l’amour social, la posture affichée en publique pour que les autres dehors apprécient l’image du couple que vous projetez. Considérons ici le vrai amour, celui qui se manifeste quand vous êtes en tête à tête, celui qui te donne tant confiance en l’autre que tu peux affirmer en ton âme et conscience être la seule dans son cœur. Tout à fait, celui là même. Cet amour qu’on nous refuse dès le plus jeune âge à considérer comme possible, comme réel. Un héritage n’est pas nécessairement pécuniaire. Des modes de vie et de penser nous sont aussi transmis. Consciemment ou pas nous intégrons ces messages, ces défaillances qui nous conditionnent à renoncer à une partie de nos rêves, aspirations, à une partie de nous même.

 

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Croire à un amour saint et constructif, fait de nous des rêveuses, des idiotes, des personnes sujettes au mépris. Le plus douloureux à mon sens reste que nos aînées, les autres femmes qui ont plus d’expérience, sur lesquelles nous devrions nous reposer, sont parfois la source de ces idées déformées sur la conception du couple dans lequel  le bonheur de la femme et sa gloire n’a pas sa place. En plus de faire passer pour une conne celle qui voudrait mieux, les femmes célibataires sont pointées du doigt et je ne parlerai même pas de la culpabilité mise sur les épaules de celles qui aspirant à mieux, ont choisi de quitter leur mari.

Le mariage devient alors un acte purement social où ni le rôle, ni la posture de l’homme ne sont remis en cause, encore moins clairement définit car il « est comme ça », « il a des besoins », « il n’est pas constitué pour être fidèle ». Finalement le pauvre est tellement dominé par sa chair et sa nature que son libre arbitre en est affecté. Comment fait-il alors pour maintenir sa position de privilégié ?
La situation est tellement tragique que la société en vient à nous faire croire qu’un homme qui trompe peut quand même t’aimer. Les autres femmes ne sont que des « catula soif* ». Du coup le drame personnel de ta vie est emballé dans un joli papier de soie avec de belles inscriptions telles que « mère ya palais* », « mère chef« , « 1 er bureau« . Pas besoin de dire que c’est une façon de nier ta souffrance générée par les infidélités de ton mari. La société travaille pour maintenir un statut quo où toi tu donnes et te sacrifies sous l’autel d’une société dégénérée qui refuse catégoriquement de voir où sont ses véritables problèmes.

Dans un mariage et pour construire une famille, il faut deux personnes qui s’investissent. Il serait peut être temps d’arrêter de déresponsabiliser les hommes, d’arrêter de leur donner que les avantages sans les inconvénients de la vie maritale. Il travaille beaucoup, il n’a pas le temps comme la femme de s’occuper des enfants. D’accord admettons que ce soit une excuse valable, dans ce cas où trouve t-il le temps d’en faire d’autres ? Il est nécessaire de restaurer le rôle des hommes sensés être les chefs de famille et les aider à manifester de la bienveillance envers leurs épouses. C’est-à-dire que à un moment donné, tu t’arrêtes et tu te mets deux secondes dans les chaussures de l’autre.

Pour en revenir au cas des hommes qui ont un peu trop pris à la lettre le commandement « multipliez-vous », est-il possible de connaître 20 enfants ? De développer une relation personnelle avec chacun ? Bien évidemment la réponse est non. Les enfants grandissent, ils ont un cœur et une conscience. Un jour ils se rendent bien compte de l’absence du père et cela laisse des séquelles qui se répercutent sur les générations suivantes. Après tout comment donner ce qu’on a pas reçu ?

Certains vont même jusqu’à dire « qu’un enfant recherche toujours son père », donc au cas où la mère refuserait d’adhérer au mode de vie de l’homme et choisirait de s’en aller, lui ne se formalise pas et refait tranquillement sa vie parce que les enfants finiront par le chercher. Voilà jusqu’où va l’aliénation mentale de certains.

Evidemment les hommes qui multiplient les enfants ne sont guère ceux qui en pâtissent. Ils se fantasment souvent en patriarche assis avec tous leurs enfants lors de grandes occasions. Bien entendu cette image gomme toutes les relations complexes existant entre une épouse et l’enfant de son mari avec une autre qui parfois virent au cauchemar,  entre les demi-frères et sœurs. Même si le père ne cesse de répéter que tous sont frère et sœur (nous ne sommes pas des blancs), n’oublions pas qu’il est dans son délire, la réalité est loin d’être aussi idyllique. Souvent l’animosité se cristallise et cette pseudo famille une fois que le patriarche passe de vie à trépas implose. Dommage qu’il ne soit pas là pour récolter les fruits qu’il a joyeusement semé. Comme toujours les innocents font les frais des aberrations des autres.

A mon sens, faire miroiter la vie d’Amazone vue de l’extérieur comme un idéal ou un exemple est dangereux. Voudrait-elle ce genre de vie pour une de ses filles? Nous partons déjà disqualifiées et handicapées dans nos vies de femmes adultes avec une vision erronée de ce qu’est un bon mariage pour y ajouter de la malhonnêteté intellectuelle.

Amazone 44 ans de vie avec un homme qui n’a cessé de montrer qu’elle n’était pas la seule me pousse  à m’interroger sur sa conception de l’amour, de la vie. Comment a t-elle été élevée, quelles valeurs lui on été inculquées? Quelle était la place de son bonheur personnel dans tout cela? Voilà les questions que j’aimerai poser et que je pose aux Amazones de ma vie.

Ally KIMIA

*catula soif: littéralement « enlever la soif ». Je vous laisse déduire la suite.

*mère ya palais: femme de la maison.

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